Confinement en cuisine

di Olivier Morin, président de l’APIRP

J’ai toujours aimé cuisiner, associer des saveurs, partager les découvertes, mes nouvelles recettes, inviter à ma table, j’aime la convivialité de la table… La Cuisine c’est pour moi le partage et pas seulement sur les réseaux sociaux, comme c’est le cas en ce moment.

J’aime avoir les bons produits, que je garde dans une sorte de garde-manger aux parfums d’enfance, entre une étagère à confitures (maison) et quelques bonnes bouteilles dans une cave à vin d’appartement. Achetés sur des sites italiens, des boutiques, des marchés, rapportés de différents séjours en Italie, ou ailleurs, ils sont partie intégrante de ma culture. Je pourrais cuisiner d’autres choses, mais je sais que plus le temps passe, plus je retrouve et cultive ce goût pour les saveurs italiennes.

Lorsque le confinement a commencé en France, j’avais déjà constaté à quel point la cuisine était revenue au centre (mais l’avait-elle vraiment quitté ?) des préoccupations de l’Italie confinée sur les réseaux sociaux, on y montrait les plats qu’on avait cuisinés, échangeait des recettes, des adresses, une angoisse nouvelle apparaissait. On voulait faire son pain, ses pâtes, à la maison, puis  commença un début de pénurie de farine, mais également de lievito madre dans les supermarchés italiens.

C’est alors que la solidarité en cuisine se révéla, ainsi très vite apparurent de nombreuses recettes pour faire chez soi cette fameuse « levure mère » que j’essaie moi aussi d’avoir toujours dans mon garde-manger, parfois même on apprit à faire du pain, des pizzas sans farine !

Des apéritifs et des dîners virtuels s’organisaient, de nombreuses personnalités publiaient ce qu’elles cuisinaient, s’échangeaient entre elles des recettes sur les réseaux sociaux comme par exemple les chanteuses que j’affectionne, Tosca et Fiorella Mannoia, pour ne citer qu’elles. Des chefs étoilés organisaient des cours en direct depuis leur cuisine. La gastronomie, comme la musique semblait être en mesure de maintenir un important lien social.

Arrive par conséquent le confinement en France, par ma profession et mes origines, j’ai dans mes relations Facebook beaucoup d’italiens de France, ils furent les premiers à poster entre deux messages d’inquiétude sur la légèreté des parisiens devant la pandémie et de tutos pour la fabrication de masques anti Covid19, des photos de pain maison, de recettes de pâtes, ils commencèrent à organiser en quelque sorte la résistance gastronomique.

J’ai essayé pour ma part de cuisiner de la façon la plus variée possible, en fonction de  mes goûts, peu de viandes, des pâtes, beaucoup de fruits et légumes, ce qui deviendra un peu plus difficile après la fermeture des marchés. Parce que cuisiner, manger, surtout en cette période, ce n’est pas que se nourrir. Je me sentais prêt à participer à une sorte de Gastronomy Challenge, qu’on me pardonne cet anglicisme !

J’avais été conforté en cela par l’achat, un peu par hasard, d’un morceau de Parmigiano Reggiano de 5KG, abandonné quelques jours plus tôt dans un rayon de mon Carrefour massicois au prix dérisoire de 20 euros, n’était-ce pas un signe ? J’avais également reçu une quantité importante de pâtes (di solo grano italiano) et d’autres petites choses commandées sur un site de Palerme.

Dès le premier jour de confinement j’ai décidé de publier sur Facebook un morceau musical et un plat que j’avais cuisiné. Mon idée était de lutter contre les débats à n’en plus finir sur le virus, comme si la France était devenue le pays aux 67 millions de virologues et de médecins de tout genre.

Débats qui débouchent souvent sur le complotisme et les fake news. Je voulais montrer qu’on pouvait au moins essayer, tout en restant conscients sur ce qui se passait, de se faire plaisir et faire plaisir aux autres à travers la cuisine.  Dans mon cas c’était aussi, en tant qu’enseignant d’Italien, un moyen de relâcher un peu la pression due à cette « continuité pédagogique » que le ministre appelait de ses vœux et à laquelle il s’avéra très vite, nous n’étions pas franchement préparés.  Malgré tout  nous avons essayé de la maintenir ;  en gardant à l’esprit  que la chose  essentielle était de garder le lien avec nos élèves et de leur faire partager notre amour de la langue et la culture italienne.

La série commença, avec la première semaine, Pasta alle cime di rapa, ma première publication engendra deux types de discussions, la première était : où avais-je bien pu trouver le très précieux ingrédient ? L’autre était : « comment traduire cime di rape en Français ? », j’hasardais une réponse, brocoli rave ?, mais je fus vite contredit par une amie traductrice italienne qui affirmait qu’il n’y avait pas de traduction, puisque le produit n’existait pas en France ! Je me souvins alors d’avoir il y a quelques années, publié une photo de mes premiers Carciofi alla Giudia et que la même personne m’avait alors reproché d’avoir traduit par artichauts à la Juive. J’ai par conséquent évité de nouvelles polémiques, mais cela me renforça dans l’idée que la cuisine est une affaire trop sérieuse, pour la laisser aux seuls cuisiniers de profession.

Parmi les menus de la première semaine : Risotto piselli e spinaci, Pane con lievito madre e farina rimacinata  (fait par mon fils Lucas), Couscous. Et puis durant  cette première semaine mon ami et collègue Francesco Forlani commence à se mettre en scène moitié prof, moitié cuisinier dans sa cuisine, des  performances artistico linguistico gastronomiques qui, ajoutées aux différentes discussions de plus en plus pointues à propos de la nourriture, me donnent l’envie d’organiser un véritable groupe, d’autant que je découvre que de plus en plus de personnes qui n’ont aucun lien avec l’Italie, s’avèrent être des passionnés de cuisine italienne..

Nous entamons la deuxième semaine, arrosto di maiale con cipolle, arance e mele, schiacciatine alle olive (Lucas), zuppa di carciofi , fave e piselli alla siciliana, risotto ai porcini, cinque buchi alla catanese, panelle, insalata di finocchi ed arance.

Entre temps, le 26 mars, je me décide à créer un groupe Facebook, Cuisiner Italien (ou pas) au temps du confinement. Le « ou pas » est important, la dominante ce sont les produits et les recettes italiennes, mais il se veut ouvert à des recettes d’autres origines. J’ai d’abord invité des proches, puis des relations Facebook, des italiens de France, certains ont invité à leur tour d’autres personnes, avec deux  points communs, l’amour de la cuisine italienne et l’adaptation aux rayons parfois vides des supermarchés. Les membres ont commencé à poster des photos de ce qu’ils cuisinaient, parmigiana di zucchine, polenta al forno, pasta, seppie e cozze, pane, tagliatelle, lasagne, ravioli, farfalle et passatelli fatti in casa, pasta ‘ncasciata del commissario montalbano, ciambelline al vino, gnocchi ricotta e noci, polpette, focaccia, frittata al sugo, reginette al pesto, trippa con patate, risotto magret affumicato e piselli, zuppa di piselli secchi, insalata di pasta. Des professionnels nous ont rejoints, comme le chef Dino De Bellis, la cheffe Daniela Ortini, la critique gastronomique Stefania Monaco, la journaliste Sara Rania, l’importatrice de produits siciliens Simona Restivo

Et puis le groupe s’est également ouvert à d’autres cuisines, on y a vu des cinnamon rolls, un ragoût des deux soleils iraniens, un bœuf bourguignon, des poivrons farcis à la bulgare… Nous avons échangé adresses, astuces, recettes, expérience. Le groupe ne cesse de croître, il est à l’heure où j’écris de 83 personnes.

Durant cette période nous avons une chose essentielle qui nous manque souvent en cuisine, le temps de préparer, de tester, d’être méticuleux dans la préparation des plats.

Au cours de la troisième semaine de confinement qui se termine, j’ai préparé une pasta con broccoli e acciughe, pasta alla norma, scaloppine al marsala, insalata di riso venere, pasta alla genovese.

A l’heure actuelle, personne ne sait quand et comment finira la période de confinement mais j’ai la certitude que cette chaîne du bien manger continuera à fonctionner.